Par Vincent Barriac
Le sujet que nous allons aborder ci-dessous devrait intéresser les passionnés d’histoire.
Agent des PTT affectée dans les années 40 aux premiers services en charge de la commutation téléphonique, dans le service qui sera à l’origine du CNET d’Issy les Moulineaux en 1944, Simone Michel-Lévy y jouera un rôle actif dans le cadre des réseaux de résistance. Arrêtée fin 43, elle mourra pendue dans un camp de concentration quelques jours avant sa libération en avril 45… Elle a été désignée compagnon de la libération par le général de Gaulle (pour en savoir plus sur sa vie).
C’est tout logiquement que le centre de R&D des PTT a honoré pendant des décennies cette camarade exemplaire. Une plaque à son hommage a ainsi trôné dans le hall d’entrée du CNET jusqu’à sa destruction. Cette plaque a ensuite été déménagée au siège d’Orange (dit “Bridge”), dont la rue qui la longe a été baptisée en son nom.
Récemment, une belle exposition était consacrée à Bridge à la résistance au sein des PTT, et Simone Michel-Lévy y occupait une place de choix. Un hommage solennel lui a ainsi été rendu, et un buste à son nom inauguré.
Orange, qui a succédé aux PTT de l’époque, n’oublie pas. Nous n’oublions pas.
Enfin, pas tout Orange, car il existe un petit nid d’irréductibles insensibles à la mémoire des heures glorieuses niché dans un comité social et culturel (C.S.E.), en l’occurrence celui de l’établissement Innovation.
Mais de quoi suis-je en train de vous parler, allez-vous me demander ? J’y viens.
Lorsque la R&D de la direction des Télécommunications des PTT de l’époque a décidé de décentraliser ses activités loin de Paris, c’est à Lannion que cela s’est opéré dans un premier temps (implantation en 1960, inauguration officielle le 23 octobre 1963). Peu après les premiers salariés et leurs activités de recherche sont aussi arrivées les activités sociales à leur destination. Un comité des œuvres sociales (COS) a été créé, avec pour vocation, comme partout en France, d’y gérer le logement et les loisirs des agents. Le COS de Lannion a longtemps eu en gestion un centre aéré, un village vacances (à Trégunc), les immeubles du COSMOS à Ker-Uhel. Ainsi que des logements à Trébeurden.
La décision a été prise de donner le nom de Simone Michel-Lévy à cette dernière. une belle stèle est depuis apposée devant l’entrée, rappelant à tous les vacanciers à quoi et à qui ils doivent leur liberté du moment.
On en est quasiment resté au même point depuis. Certes, les PTT ont été scindés en deux, les COS démantelés et leurs avoirs transmis dans les nouveaux comités d’établissement (C.E. désormais C.S.E.), mais la résidence a continué à rendre de bons et loyaux services, en permettant d’accueillir des collègues désireux de passer quelques jours de vacances au bord de la mer en Bretagne pour pas cher.
Aujourd’hui encore. Mais plus pour longtemps.
En effet, une majorité d’élus du C.S.E.E. Innovation d’Orange vient de décider de vendre.
Petit retour en arrière pour comprendre. Plus précisément en 2020. La crise CoViD oblige le C.S.E.E. à fermer les lieux. Dans le même temps, les deux salariés en charge de sa gestion et de son entretien sont partis (une en retraite, l’autre a démissionné) sans être remplacés. La question se pose alors de l’avenir : stop ou encore ?
J’ai alors proposé la création d’un groupe de travail, associant tous les syndicats d’Orange, pour étudier divers scénarios. La relance d’une gestion centralisée, nécessitant des embauches et des investissements conséquents, a été jugée irréaliste. De même, la vente pure et simple a été jugée comme un gâchis d’un beau patrimoine encore doté d’un beau potentiel. Le scénario médian de la délégation de gestion à une entreprise du secteur du tourisme social a finalement retenu notre préférence. La société Rêves de Mer, basée dans le Finistère, s’est déclarée intéressée et nous avons recommandé aux deux C.S.E.E. désormais copropriétaires (une n-ième réorganisation avait en effet scindé IMTW entre TGI et OINIS) de négocier une délégation de gestion avec elle.
Malgré des prises de position scandaleuses de certains élus, qui m’ont forcé à abandonner le projet en cours de route, l’affaire a fini par être conclue. Un bail de court terme a été signé. Rêves de Mer demandait à la place un bail plus long, lui garantissant un retour sur investissement s’il fallait construire des équipements supplémentaires (ex : salle de restaurant). Les C.S.E.E. se sont alors donné le temps nécessaire pour éventuellement en venir à cette solution après quelques années d’observation.
Et voilà, aujourd’hui nous y sommes. Le bail arrive à échéance. Quel bilan en tirent les C.S.E.E. ? AUCUN ! Ont-ils gagné de l’argent ? Oui, en percevant un loyer annuel et un pourcentage du chiffre d’affaire (un peu plus de 8000 euros en 2024 pour Innov, contre moins de 3000 euros de participation aux séjours des salariés), mais pas assez pour financer des travaux d’entretien ou d’embellissement. Combien de salariés ont pu en profiter ? Pas assez (seulement 13 en 2024 à Innov, contre 20 en 2023), du fait d’une publicité quasi-inexistante et d’une absence d’ouverture aux autres C.S.E.E. d’Orange. Comment se sont passées les relations avec le gestionnaire ? Excellemment, à ce qu’on en sait.
La conclusion logique de ce temps d’observation et de ce bilan positif (mais peut mieux faire) et encourageant devrait être de confirmer la confiance dans Rêves de mer et d’accepter de contracter un bail long pour leur permettre d’investir et de donner à la résidence Simone Michel-Lévy de vraies chances de développement, garantissant ainsi des revenus supplémentaires aux C.S.E.E. mandataires pour financer les futurs travaux d’entretien, tout en y conservant un droit d’accès privilégié pour les salariés d’Orange.
Mais la conservation et le développement du patrimoine ne font pas partie du logiciel de ces messieurs-dames. Un petit comité autour du bureau du C.S.E.E. Innovation a finalement décidé de proposer aux élus de ne pas renouveler le bail et de se lancer dans une cession pure en simple. Les yeux sans doute exorbités et les bouches certainement bavant devant le pactole potentiellement à leur disposition, une majorité a bien entendu suivi. Pour convaincre tout ce petit monde en ajoutant un bâton à la carotte, une étude a été menée par un cabinet d’expertise afin de montrer combien cela coûterait de se lancer dans des travaux de maintenance. Comme vu plus haut, ce serait à partager avec Rêves de Mer en cas de bail à long terme. Mais ça, on s’est bien gardé de le préciser. Appât du gain + conviction qu’on est en train de perdre de l’argent = accord assuré des élus.
Sud, attaché depuis toujours à des valeurs de solidarité et de gestion sur le long terme, a bien entendu voté contre. Mais que voulez-vous, face aux armadas de syndicalistes-gestionnaires de fonds de placements et à leurs arguments sonnants et trébuchants à courte vue, nous ne pesons pas lourd.
Conséquences de cette belle décision :
- C’en est fini pour les salariés de notre périmètre pour pouvoir aller en vacances avec l’aide du C.S.E.E. à la mer à Trébeurden. A la place, on ira dans un camping privé et on se fera rembourser en chèques cadeaux.
- Finie aussi la possibilité (négociée avec Rêves de Mer mais jamais mise en œuvre en réalité) de dédier un petit nombre de logements pour des collègues de Lannion en difficulté passagère (divorce, incendie, etc.), comme le permettait la gestion antérieure.
- Notre C.S.E.E. va gagner un beau pactole, qui va faire des heureux. Il faut s’attendre à une belle distribution de cadeaux juste avant la prochaine élection C.S.E.E. pour nous inciter à bien voter. Gageons que dans 3-4 ans, il ne restera plus rien de l’argent gagné dans cette opération.
Au passage, notons que la décision de vente a été prise sans avoir au préalable mené la moindre étude pour savoir à qui on va vendre et pour quelle somme. On est parti pour une vente au plus offrant, sans la moindre plus-value sociale (on pourrait vendre à un office HLM ou à la municipalité, autant d’hypothèses étudiées en 2020, jamais plus évoquées depuis).
BREAKING NEWS CSEE INNOV DE JUIN : Une somme vient d’être annoncée aux élus. L’objectif est une vente à hauteur de 1 300 000 € (dont 70 % reviendraient à ce CSEE). A noter une estimation notariale entre 825 et 850 000 €
- Enfin, et c’est là que je voulais en venir, la résidence sera débaptisée, et on oubliera définitivement sur la Côte de Granit Rose le nom de Simone Michel-Lévy. Ne demandez surtout pas à nos élus C.S.E.E. ce qu’ils comptent faire de la plaque commémorative. Ils n’en ont strictement aucune idée. Et puis surtout :